Comprendre la montée du Rassemblement National, au-delà des idées reçues 🇫🇷
Les éclairages des essais et de la presse
Il y a 40 ans, le Front National n’était qu’un groupuscule minoritaire. Aujourd’hui, le Rassemblement National (RN) a remporté 32% des voix aux élections européennes et se retrouve au seuil du pouvoir.
Alors comment expliquer ce succès ? La société française serait-elle de moins en moins tolérante envers l’immigration ? Le RN serait-il devenu un parti traditionnel, attentif avant tout aux questions sociales et au pouvoir d’achat ? Serait-il le parti des classes populaires précaires et délaissées ?
Ce n’est pas que montrent les analyses et essais récents. Alors armons-nous de nuance pour aller au-delà des discours et surmonter ces idées reçues.
Une France conquise par le RN ? 📊
Regardons cette carte, qui présente les résultats des élections européennes du 9 juin. Le RN, on le voit, est arrivé en tête dans tous les départements sauf ceux d’Île-de-France et dans 92% des communes, à l’exception des métropoles (qui lui ont rarement donné plus de 15% des voix, Nice et Marseille exclues).
Quant aux chiffres, ils montrent que le RN a remporté 31,37% des suffrages, soit 2 fois plus que la liste du parti présidentiel (14,6%) et deux millions de voix supplémentaires qu’aux européennes de 2019.
Le RN en effet, a progressé presque partout (on le voit sur la carte 2) et su à la fois :
consolider sa base électorale en obtenant plus de 50% des voix dans ses bastions historiques (le Nord-Est et le pourtour de la Méditerranée), comme le montre la carte 3
conquérir des territoires qui lui résistait jusqu’alors, notamment l’Ouest de la France
C’est sans doute l’enseignement majeur de l’élection : le RN a séduit l’Ouest, les cadres et les retraités, et plus seulement une niche idéologique (les partisans de l’extrême droite), sociale (la classe ouvrière blanche) et géographique (les villes petites et moyennes et leurs périphéries).
Mais plusieurs éléments invitent à nuancer l’idée d’une France acquise au RN :
1- Les chiffres ignorent l’abstention, qui a pourtant concerné 50% des électeurs. En réalité, le RN a été plébiscité par 30% des votants mais seulement 16% des inscrits sur listes électorales ! Comme l’indique cet article du Grand Continent, la victoire du RN s’explique surtout par la forte mobilisation de son électorat. Le 9 juin (hors Paris), seuls 28% des électeurs de Marine Le Pen se sont abstenus, contre 42% des électeurs d’Emmanuel Macron et 36% de ceux de gauche et centre-gauche.
2- Les cartes présentent deux limites :
elles ne tiennent pas compte du poids démographique des communes, ce qui dévalorise les villes, qui disposent de plus d’électeurs (et qui votent moins pour le RN). Les cartes par anamorphose, sur lesquelles la taille des communes est proportionnelle à leur population, donnent une vision des choses très différente.
elles ne représentent que la liste arrivée en tête, ce qui ne suffit pas pour déterminer l’orientation politique d’une commune. Le RN a par exemple obtenu 23% des voix à Aurel (Drôme), mais les trois candidats qui le talonnent sont tous de gauche et pèsent ensemble 42% des voix : difficile d’affirmer que cette commune est conquise par le RN !
3- Enfin, les Français ne sont pas plus hostiles à l’immigration, comme le laisserait penser la progression du RN.
En effet, l’indice de tolérance à l’égard de l’immigration n’a jamais été aussi élevé et a atteint en 2022 son niveau record1. 72% des Français pensent que la présence d’immigrés est une source d’enrichissement culturel et 81% que les travailleurs immigrés doivent être considérés comme chez eux car ils contribuent à l’économie française. Quant à la part de sondés accréditant l’idée selon laquelle « il y a trop d’immigrés en France » (50%), elle reste stable depuis une vingtaine d’années.
La progression du RN a donc d’autres causes qu’une xénophobie croissante.
Comment expliquer le succès du RN ? 📈
1- La capacité à proposer une solution unique à plusieurs inquiétudes 💡
Pour le chercheur Gilles Ivaldi, le RN a fait de l’immigration la cause unique de trois inquiétudes :
l’insécurité économique (accrue notamment par la précarisation du travail et la baisse du pouvoir d’achat)
la peur du déclassement social (l’immigré étant vu comme un concurrent dans l’accès aux aides sociales)
le sentiment que les élites veulent imposer une France multiculturelle au mépris de l’avis du peuple
Le RN prétend aussi répondre à des inquiétudes comme :
le déclin supposé de l’école, plus présente chez les électeurs RN, souvent moins diplômés donc moins capables de pallier eux-mêmes les déficiences du système scolaire
des politiques écologiques considérées comme punitives, menaçant les modes de vie traditionnels et pesant avant tout sur les plus modestes (notamment les habitants des périphéries, dépendants de la voiture pour aller travailler). Cet article du Monde explique très bien comment le rejet de l’écologie est devenu un moteur du vote RN.
Pour la sémiologue Cécile Alduy, le RN a donc su donner une légitimité à diverses souffrances individuelles, en les insérant dans un enjeu de civilisation partagé (le rejet de l’immigration) et en proposant une solution providentielle (le retour à l’ordre et à un passé fantasmé). Mais ce faisant, le parti a accentué la polarisation identitaire et affective en amplifiant l’animosité ressentie à l’égard des immigrés, comme le précise la sociologue Laurence de Nervaux.
2- La politique du gouvernement 🕴️
(1) En dynamitant les partis traditionnels et en accusant l’extrême-gauche de radicalité, Emmanuel Macron a fait du RN son seul adversaire, ce qui a crédibilisé le parti et créé un clivage entre populisme et progressisme, patriotisme et mondialisme.
(2) Le résultat du RN aux élections européennes s’explique aussi par le fait que le scrutin soit perçu comme un vote de protestation à l’égard du gouvernement.
(3) On note aussi que les dirigeants français, même pro-européens, ont rarement expliqué les avantages de l’UE pour la France, préférant en faire un bouc-émissaire commode. Pourtant, le France est la 1è bénéficiaire de la Politique Agricole Commune, profite des aides sociales permises par le plan de relance et dispose grâce à l’UE d’un accès au 2è plus grand marché intérieur au monde, crucial pour ses exportations.
3- Un changement de nature de l’abstention 🙅♂️
Pour le politiste Vincent Tiberj, le RN profite d’un changement de nature de l’abstention : elle touche davantage les jeunes de quartiers populaires, les urbains et les diplômés, plus tolérants à l’égard de l’immigration, et de moins en moins les catégories populaires, majoritairement favorables au RN (qui s’abstenaient jusqu’alors par manque d’avis politique). Dans le même temps, le RN a conquis les catégories les plus enclines à aller voter, à savoir les retraités, les classes moyennes et les mondes ruraux, comme mentionné dans cette tribune au Monde.
4 - Des questions sociales, migratoires et identitaires délaissées par la gauche 🌹
L’ex-conseiller de François Hollande Aquilino Morelle explique que les catégories populaires ont été abandonnées par la gauche française qui :
s’est détournée des questions sociales pour se concentrer sur les questions sociétales (comme la défense des minorités ou l’écologie)
a refusé de traiter les problèmes posés par l’immigration (jugés tabous)
a signé des traités européens contre l’avis des Français (comme en 2007 le traité de Lisbonne, rejeté deux ans plus tôt par referendum).
Délaissées par la gauche, les couches populaires se sont donc tournées vers le FN, seul parti à traiter de l’immigration, puis vers le RN, qui s’est emparé des questions sociales sous Marine Le Pen pour devenir le porte-parole des Français qui se sentent méprisés.
5 - Une stratégie de dédiabolisation 👩💻
Depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête, le FN tente de se normaliser et de se présenter comme un parti « républicain ».
(1) En occultant ses racines et positions radicales.
Le parti a changé de nom en 2018, choisi comme leader Jordan Bardella, qui ne porte pas le patronyme Le Pen, et recentré son discours sur les questions sociales (retraite à 60 ans, pouvoir d’achat). Depuis des années, le FN rejette aussi le terme d’extrême-droite pour se présenter comme un parti populiste (terme vague qui s’applique aussi à la gauche). Jean-Marie et Marine Le Pen ont menacé de procès ceux qui les associaient à l’extrême-droite, et si le père a tenté de faire du FN l’héritier du boulangisme et du poujadisme, la fille a orienté le programme du parti vers les questions sociales.
Une stratégie payante, car on rappelle désormais à l’ordre ceux qui disent le RN xénophobe ou antisémite, et que le RN apparaît à certains comme un parti de gauche - François Hollande comparait le programme de Marine Le Pen à un « tract communiste des années 1970 ».
(2) En se professionnalisant. Le RN a recruté des membres expérimentés issus d’autres formations politiques, et ses députés RN se montrent sérieux et assidus, pour se distinguer des députés LFI accusés de « bordeliser » les débats. Ils ne proposent que des textes de lois consensuels, souvent copiés sur les propositions des LR.
(3) En imposant ses idées dans les médias et en élargissant la fenêtre d’Overton (le champ des idées considérées comme acceptables dans le débat public). Ainsi, le terme de « grand remplacement » est devenu courant.
Achraf Ben Brahim rappelle que le FN, bénéficiant d’une faible exposition dans les médias traditionnels, a été le tout premier parti à créer un site Internet (en 1996), et maîtrise aujourd’hui les rouages de la communication numérique. Il pratique notamment une stratégie d’astroturfing, consistant à inonder les réseaux sociaux de contenu relatif à ses idées (parfois en amplifiant des faits divers), pour qu’ils apparaissent comme des préoccupations majeures et soient relayés par les médias traditionnels.
Alexis Lévrier souligne que le RN profite aussi du fonctionnement des réseaux sociaux :
des algorithmes qui favorisent les contenus clivants comme l’immigration (susceptibles de susciter plus de réactions de la part des utilisateurs, donc de rapporter plus d’argent)
et des applications comme TikTok, sur lesquelles on peut proposer des vidéos courtes et personnalisées, permettant d’éviter les questions de fond et de s’adresser directement aux électeurs, pour recentrer la campagne sur un candidat plutôt que sur un parti. Jordan Bardella s’est d’ailleurs servi de TikTok pour séduire les jeunes lors de sa campagne, avec des vidéos reprenant des phrases incisives de ses discours ou le montrant dans des situations banales.
6 - Une normalisation permise par les médias, la droite et Éric Zemmour 🎙️
Toutefois, la dédiabolisation du RN résulte aussi de phénomènes extérieurs :
le discours radical d’Éric Zemmour et de son parti Reconquête a rendu les idées du RN, par contraste, plus modérées
le fait que des médias détenus par Vincent Bolloré diffusent, sous couvert d’une ligne éditoriale pluraliste, des idées d’extrême-droite. Les politiques d’extrême-droite occupaient 50% du temps d’antenne sur C8 et représentaient 26% des invités de la matinale de CNews. Pour Alexis Lévrier, CNews ou le nouveau Journal du dimanche sont héritiers de la presse nationaliste et xénophobe qui a prospéré de la Belle Époque à 1945, partageant avec elle son rejet des élites jugées hostiles aux intérêts de la nation, sa stigmatisation de minorités qui servent de bouc-émissaires et sont perçues comme des « ennemis de l’intérieur », son hostilité envers les médias dominants accusés de propagande idéologique et son exaltation de la violence (appel à l’insurrection, goût pour le conflit). L’influence idéologique de Vincent Bolloré s’étend même au-delà des médias qu’il possède, puisque ses chaînes valorisent des titres d’extrême-droite comme Causeur, Boulevard Voltaire ou Livre Noir.
la droite traditionnelle s’est rapprochée du RN : depuis le quinquennat Sarkozy, les LR perçoivent l’immigration comme un enjeu de civilisation (et plus seulement sous un angle économique ou sécuritaire) et certains de ses membres ont rejoint le RN tandis que les plus modérés ont rallié le parti d’Emmanuel Macron. Vincent Martigny souligne que les électeurs LR rejoignent les valeurs des électeurs RN sur 3 points (l’attachement au passé et à ses valeurs, la demande d’autorité, le rapport à l’immigration et au nationalisme) et sont de moins en moins nombreux à voir le RN comme un parti xénophobe. 40% des électeurs ayant voté Nicolas Sarkozy en 2007 ont choisi le RN aux élections européennes. Et entre 2022 et 2024, la droite traditionnelle a vu 1/4 de son électorat migrer vers le RN et Reconquête.
Le RN est-il devenu un parti traditionnel ? ✅
Ainsi, on peut croire que le RN a su se normaliser et se moderniser, en modérant son discours et en élargissant son programme à des thématiques sociales. En dix ans (2012-2022), la part de Français estimant que le RN « représente un danger » a d’ailleurs chuté de 10 points pour devenir minoritaire (46%). Toutefois, le RN n’est pas devenu pour autant un parti traditionnel.
Plusieurs éléments tendent à infirmer cette idée, qui repose sur plusieurs idées reçues à nuancer.
1 - Le RN s’est détaché de ses racines fascistes et antisémites 👊
Certes :
le RN s’est distancié de ses origines fascistes ou nazies, contrairement à des mouvements comme Aube dorée en Grèce ou CasaPound en Italie qui se disent explicitement héritiers du nazisme ou de Mussolini
il a affiché son soutien à Israël après l’attaque du 7 octobre 2023 et participé à la marche contre l’antisémitisme
il ne veut plus renverser le pouvoir mais y arriver par des voies démocratiques, et n’en appelle plus à la dictature mais au peuple
il se dit désormais héritier du gaullisme en mettant en avant son programme nationaliste (un moyen de séduire les électeurs plus âgés, qui représentent aujourd’hui la majorité des votants)
Mais attention :
comme le mentionne Grégoire Kauffmann, le FN était un parti néofasciste, issu du regroupement de diverses mouvances d’extrême-droite (y compris les plus radicales comme l’Ordre nouveau et le GUD) et comptant parmi ses fondateurs d’anciens SS, des partisans du régime de Vichy ayant décidé de déporter les Juifs, des partisans de l’Algérie française et de l’OAS, organisation terroriste clandestine
le parti n’a jamais vraiment condamné son passé et se dit solidaire de toute l’histoire du FN (dont il n’a pour Marine Le Pen « pas à rougir »)
Nicolas Massol parle d’un parti schizophrène, qui occulte en public ses convictions idéologiques les plus radicales, mais continue d’entretenir des liens étroits avec des personnalités antisémites complotistes ou des groupuscules violents, dont il réclame publiquement la dissolution mais dont beaucoup de ses membres sont issus. Le journaliste Pierre-Stéphane Faure montre que le jeune Jordan Bardella fut un admirateur de Jean-Marie Le Pen et membre du clan de Frédéric Chatillon, ancien président du GUD. Cet article mentionne les propos ou croyances antisémites de dirigeants ou électeurs du RN (en 2018, 36% des sympathisants du RN croient en un « complot sioniste à l’échelle mondiale » ).
Le philosophe Mickaël Foessel rappelle que le fondement de la politique du RN reste la préférence nationale, soit l’idée qu’il y aurait une inégalité fondamentale entre les Français et les « étrangers », y compris les personnes françaises d’origine étrangère. Pour Cécile Alduy, Marine Le Pen défend le droit du sang, estimant que la citoyenneté ne résulte pas de l’adhésion à certaines valeurs, mais de l’héritage biologique2.
2 - Le RN propose désormais un programme crédible centré sur les questions sociales 💰
Certes, le FN refuse depuis 1970 de se présenter comme un parti de droite et a intégré les questions sociales à son programme (construction de logements sociaux, plan d’urgence pour l’hôpital…)3. Mais attention :
(1) le RN est revenu sur plusieurs promesses comme la retraite à 60 ans et beaucoup de ses mesures seront difficiles à mettre en œuvre car :
- elles impliqueraient de réviser les traités européens et mettraient la France au ban de l’Europe :
pour baisser la contribution de la France au budget européen, il faudrait attendre les négociations sur le prochain budget 2028-2034 (le seul moyen d’obtenir une dérogation serait de la négocier au Conseil européen, mais c’est le président de la République qui y siège)
pour faire passer la TVA sur les énergies de 20 à 5,5% il faudrait réviser la directive TVA de l’UE (et faire des concessions importantes pour obtenir gain de cause). Une telle mesure aurait d’ailleurs un effet limité sur les ménages, car les prix du gaz augmentent surtout à cause des coûts d’entretien du réseau et des prix du gaz sur les marchés mondiaux
sortir des règles européennes sur les prix de l’électricité pour en diminuer le coût exposerait la France au lancement d’une procédure d’infraction et à une amende importante (les seuls pays ayant obtenu dérogation n’étaient pas connectés à leurs voisins).
- les mesures qui fondent la politique de priorité nationale (consistant à réserver aux citoyens certains droits en fonction de leur origine) nécessiterait de modifier la Constitution par référendum et impliquent souvent des « étrangers » qui sont en fait Français depuis deux ou trois générations et dont aucune disposition actuelle ne prévoit l’expulsion, comme le souligne Mickaël Foessel. Exemples :
la suppression du droit du sol pourrait s’avérer anti-constitutionnelle
la suppression des allocations familiales pour les parents de mineurs délinquants pose des problèmes juridiques car le code pénal précise que les individus ne sont pénalement responsables que d’eux-mêmes
(2) le programme du RN n’apparaît pas particulièrement favorable aux plus modestes, comme le soulignait le journaliste Patrice Trapier :
il ne prévoit pas de rétablir l’ISF et ne remet pas en cause les baisses d’impôts sur les entreprises ou sur les revenus financiers
il comprend des mesures fiscales très peu redistributives, comme la suppression de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans (car les couches les plus populaires ne payent pas l’impôt sur le revenu) ou la baisse de la TVA sur l’énergie, qui profiterait autant aux catégories aisées qu’aux classes populaires (contrairement aux « chèques énergie » qui permettent de cibler les soutiens).
le souhait de supprimer la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) pour aider les PME n’a pas de sens, car la C3S n’est acquittée que par les entreprises au chiffre d’affaires supérieur à 19 millions d’euros… alors qu’une petites entreprises sont définies comme ayant un chiffre d’affaires inférieur à 15 millions d’euros
le fait d’exonérer de cotisations patronales les entreprises qui proposent des hausses de salaires de 10% s’adresse surtout aux salaires bien supérieurs au Smic, car il existe déjà des exonérations pour les salaires les plus bas. Cela fait aussi peser les hausses de salaire sur l’État, ce qui pourrait se traduire par des coupes budgétaires dans le domaine de la protection sociale
le RN promet des baisses d’impôt (sur les droits de succession par exemple) qui pourraient peser sur les recettes sociales
Rappelons aussi que les députés RN ont voté contre l’augmentation du SMIC et du budget des hôpitaux, contre la revalorisation des petites retraites, contre la baisse de la TVA sur les transports en commun et la hausse de la TVA sur les produits de luxe. Si Jordan Bardella affirme avoir soutenu les repas à 1 euro pour les étudiants, cette loi avait été proposée par la gauche. Et s’il affirme avoir proposé une loi pour améliorer la prise en charge des femmes atteintes d’endométriose, ce texte a été retiré car il existe déjà un dispositif permettant une prise en charge à 100% sans avance de frais (ALD30).
(3) Alors que le RN dénonce une écologie punitive qui accroît les inégalités, ses députés ont voté contre l’augmentation du montant du Fonds social pour le climat, contre le Fonds de transition juste censé accompagner les travailleurs touchés par les mesures du Pacte vert, contre la directive pour la rénovation thermique des bâtiments visant à lutter contre la précarité énergétique, mais a voté pour la nouvelle Politique agricole commune (PAC) et s’est abstenu lors du vote de deux accords de libre-échange avec le Chili et le Kenya qui mettraient les agriculteurs français en concurrence avec des produits étrangers moins chers.
Le fait de ne pas se présenter comme un parti de droite est une manœuvre politique pour se distinguer des partis traditionnels et se placer du côté du peuple plutôt que des élites.
3 - Le parti s’est modernisé pour intégrer des enjeux actuels (écologie, féminisme) 🌱🚺
(1) Un verdissement de façade
Pour Pierre Madelin, si l’extrême-droite intègre désormais l’écologie à son discours, c’est d’abord par opportunisme : le RN n’agit pas en faveur du climat et de l’environnement, mais se sert du sujet pour mettre en avant ses valeurs nationalistes et identitaires. Vanter le nucléaire permet de défendre la souveraineté française. Prôner la relocalisation des industries et de la production agricole permet de défendre le localisme, le retour à un mode de vie traditionnel et l’idée que chaque peuple doit rester sur sa terre et y vivre en autonomie.
On parle même d’ecobordering ou d’écofrontièrisme, concept selon lequel le meilleur moyen de protéger l’environnement serait de contrôler ses frontières, qui repose sur l’idée qu’on ne peut respecter que la terre dont on est issu. D’ailleurs, Jordan Bardella affirmait que « le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière » et Marine Le Pen qu’il fallait protéger « les écosystèmes, à commencer par les écosystèmes humains que sont les nations ». Mais si le RN se pare de vert pour diffuser ses idées, il est loin d’être écologiste. Ses députés ont voté contre la restriction de l’usage de pesticides et de plastiques, contre la suspension de l’exploitation minière des fonds marins et la protection des aires marines, contre le conditionnement de aides aux entreprises à des objectifs écologiques ou la suppression de la niche fiscale sur le kérosène aérien…
(2) Un féminisme identitaire
Le RN instrumentalise le féminisme pour imposer ses idées :
en dénonçant une médecine gynécologique qui « maltraite » les femmes, il s’oppose à la PMA
en disant protéger les femmes de violences causées majoritairement par les migrants, et en voulant interdire le port du voile pour défendre les libertés de la femme, il stigmatise les personnes d’origine étrangère ou musulmane
La sémiologue Cécile Alduy parle d’un féminisme identitaire qui sert avant tout à défendre une identité perçue comme menacée par l’immigration musulmane. Une stratégie qu’utilise aussi l’italienne Georgia Meloni, qui vante les Italiennes qui pérennisent le modèle de la famille traditionnelle mais exclut les femmes lesbiennes ou sans enfant. On notera aussi que les députés RN ont voté en 2020 contre une résolution européenne visant à réduire les écarts de salaire entre hommes et femmes.
Qui sont les électeurs du RN ? 👨👩👧👧
Comme on peut s’y attendre, il n’existe pas de profil type de l’électeur RN.
1 - Ils ne sont pas tous précaires et ruraux
(1) Le premier déterminant du vote RN n’est pas le niveau de revenus ou le lieu de résidence (urbain ou rural), mais le diplôme. Le RN séduit bien plus les populations non diplômées ou titulaires de CAP ou de BEP (qui souffrent plus de la précarité sur le marché du travail), et très peu les personnes au niveau de diplôme supérieur à bac+5. En 2022, seuls 12% des électeurs de niveau bac +3 ou plus ont voté pour Marine Le Pen. Pour Olivier-Bouba-Olga, si l’on vote plus pour le RN dans les campagnes, c’est par un effet de diplôme et d’âge, plus que par un effet de localisation.
(2) La base électorale du RN est plus diversifiée qu’on le pense, et comprend notamment :
des électeurs de droite qui se sont radicalisés : entre 2022 et 2024, 1/4 de l’électorat de droite traditionnelle a migré vers le RN et Reconquête
des personnes de la petite classe moyenne, dont les préoccupations économiques et sociales portent surtout sur le logement, l’école, les impôts ou les aides sociales
de plus en plus de femmes : sans doute, pour Nonna Mayer, car Marine Le Pen a normalisé son parti auprès des jeunes femmes, que le déclin de l’école préoccupe surtout les mères et qu’on observe une précarisation des métiers féminins (dans le secteur notamment de l’aide de la personne).
des jeunes : même si LFI reste le premier parti chez les jeunes de 18-24 ans qui votent (33%), ils sont 25% à avoir voté pour le RN, qui progresse dans cette catégorie d’âge (15% aux européennes de 2019 et 21% aux présidentielles de 2022). Les journalistes Marylou Magal et Nicolas Massol montrent comment les manifestations contre le mariage pour tous ou l’engagement dans l’association SOS Chrétien d’Orient a permis aux jeunes de l’UMP et du FN de se regrouper autour d’un combat « civilisationnel » commun, et comment s’est constitué un groupe de jeunes militants RN, dont certains élaborent depuis Paris des stratégies pour imposer leurs idées dans le débat public.
2 - Ils ne sont pas tous hostiles aux étrangers et à l’immigration…
Pour le politologue Luc Rouban, le principal motif du vote RN n’est pas le racisme et la xénophobie mais un sentiment de déclin social et de vulnérabilité et une demande d’autorité et de gestion efficace des services publics de proximité. Une grande partie des électeurs du RN ne partageraient pas les valeurs de leurs leaders et seraient libéraux sur le plan économique, pas forcément hostiles au libre-échange.
Pour Félicien Faury, les électeurs RN ne se présentent pas comme des idéologues ou des extrémistes, mais comme des personnes ordinaires, pas toujours très politisées, dont le choix est légitimé par le fait que de plus en plus de personnes partagent leur avis (même si le vote RN reste tabou dans certains territoires).
3 - … mais ne sont pas seulement soucieux de leur pouvoir d’achat
On pense que le vote RN est celui d’une classe populaire délaissée par les pouvoirs publics et soucieuse avant tout de problématiques économiques, plus que de questions migratoires. Mais suite à une enquête sociologique menée dans le Sud-Est de la France, Félicien Faury estime que dans le choix des électeurs RN, le rejet des minorités ethnoraciales occupe une place centrale. Car ces personnes voient les immigrés comme des concurrents pour l’accès aux aides sociales, emplois et logements, et vivent une « concurrence sociale racialisée ». Ils adhèrent au discours selon lequel l’immigration est la cause de leurs problèmes économiques. Certes, les très riches sont aussi perçus avec animosité, comme pouvant notamment faire grimper les prix du logement, mais leur arrivée est considérée avec un certain fatalisme, tandis que celle des migrants est vue comme évitable, « pas normale ».
Comment lutter ? ✊
Pour entraver la progression de l’extrême-droite, il ne suffit donc pas de dénoncer le RN sur le plan moral, et il faut se garder de prendre ses électeurs pour des idiots et de dépolitiser leur choix en le réduisant à un « vote de protestation ». Plusieurs pistes sont suggérées :
répondre aux attentes de protection par d’autres moyens que le rejet de l’étranger, en montrant par exemple qu’une politique écologique permettrait de créer des emplois, de favoriser le bien-être (logements mieux isolés, meilleur accès aux espaces verts) et de protéger l’avenir de nos enfants.
Cécile Alduy et Michaël Foessel proposent de ne pas renoncer à employer le terme d’extrême-droite (qui tend à être remplacé par celui de populisme de droite) et à rappeler l’histoire du RN et ses liens actuels avec des groupes radicaux.
pour Aquilino Morelle, il faut traiter la « triple crise identitaire » (affaiblissement démocratique, désindustrialisation aggravant le chômage et la pauvreté, mauvais contrôle de l’immigration qui pèse surtout sur les classes populaires). En plus de rétablir le dialogue avec les citoyens et de réindustrialiser le pays pour créer des emplois, il propose surtout de ne pas laisser à la droite radicale des questions d’immigration et d’identité nationale, et de pratiquer un nationalisme et un souverainisme raisonnés qui s’opposent à ceux du RN
À bon entendeur…
Enquêtes de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)
Une vision que nuance le chercheur Jean-Yves Camus, qui ne voit pas cette politique comme raciste, le RN considérant notamment que que les Mahorais ou les Antillais ont les mêmes droits que les autres.
Le RN promet plus de dépenses pour l’hôpital public et contre les déserts médicaux, la construction de 100 000 logements sociaux et la revalorisation de l’allocation adulte handicapé (AAH), une aide pour les apprentis et les PME, 100 000 places en Ehpad.